16/04/2010

L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot (Serge Bromberg - Ruxandra Medrea, 2009)

Documentaire sur un film jamais sorti de Henri-Georges Clouzot. Images inédites de Romy Schneider. Choc. Comment juger ce film documentaire dont le déroulement est un peu faible et qui doit tout aux beautés qu’il exhibe, et qui ne sont pas de lui ? Le fait est qu’en présentant pour la première fois les plans tournés par Clouzot il y a maintenant presque cinquante ans, Serge Bromberg exhibe un trésor. Mais si on doit vraiment émettre une opinion sur son entreprise, il y a défaveur. L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot raconte évidemment l’histoire d’un film oublié. Enfin, c’est encore plus fort, le film n’est pas simplement oublié ; il n’est jamais sorti, n’a même jamais été fini. Bromberg joue sur deux plans : il documente ce qu’a été le projet et le tournage de ce film par Clouzot / il reconstitue ce qu’aurait pu être le film une fois monté, en complétant les vides par quelques scènes rejouées (avec Jacques Gamblin et Bérénice Bejo). Ce qui est assez frustrant, c’est qu’il trébuche sur son double enjeu. D’une part, la rigueur fait défaut à son travail documentaire. Des informations sont omises, fréquemment. Le portrait de Clouzot est à peine dessiné. Pourquoi ne pas s’interroger un minimum sur le fait que le réalisateur, assimilé à l’époque par les insolents de la Nouvelle Vague à cette « qualité française » (académique, corporatiste etc..) qu’ils abhorraient, se mette en tête avec L’Enfer de créer une œuvre absolument expérimentale ? Comment avait-il obtenu ce budget illimité pour ses essais ? Le scénario était-il vraiment achevé ? Les questions planent et les réponses se dérobent. Peut-être par négligence, peut-être parce qu’elles sont inconnues (alors autant le dire). Dans un second mouvement, le film tente de réparer l’injustice en donnant un semblant de cohérence au monceau d’images retrouvées. Ici encore, le projet est louable mais lacunaire. On ne s’intéresse pas à l’intrigue, elle est déficiente. Quand on nous présente les contemporains Gamblin et Bejo, on brûle de retrouver les originaux. Car, pour en venir au choc, les images de Clouzot le véhiculent, terrible. Elles étaient sensées être mentales, représentant la folie de la jalousie. Romy Schneider, face à la caméra, exhale la fumée d’une cigarette. Son corps est pailleté, huileux, un jeux de lumières circulaire l’éclaire. Clouzot était alors influencé par l’art cinétique : couleurs baroques, mouvements bouclés sur eux-mêmes. Il y a peut-être quelque chose de désuet dans ces installations. Mais le trouble surnage et tétanise toujours. La beauté de Romy est terrassante. Elle plante son regard en nous, rit en silence dans une ligne fuyante de teintes. Origine même du pouvoir de l’image, le trouble qui saisit sans annonce. C’est cette sensation fondamentale que l’on retrouve ici. Aurait-on pu se passer d’avoir vu Romy Schneider ainsi ? Pas vraiment.

07/04/2010

Bad Lieutenant : escale à la Nouvelle-Orléans (Werner Herzog, 2009)

Vu comme ça, il n’y a pas de lien explicite entre le Bad Lieutenant de Herzog et celui de Ferrara. Hormis leur personnage commun de flic junkie, les deux films n’ont pas la même saveur, la même esthétique, ni les mêmes préoccupations. Jour et nuit. Et cela n’a rien de malheureux, c’est en fait ce qu’il y a de plus sain dans la version de Herzog. Pourtant, quand sur l’affiche Nicolas Cage s’avance pour reprendre l’uniforme de rebut, de fortes suspiZions trainent dans les esprits. Elles seront sans fondements : Bad Lieutenant est un vrai film, pas une sortie technique. Loin de New York, c’est à la Nouvelle-Orléans post-Katrina que le flic vicié trouve une enquête à résoudre. Une famille Noire massacrée, dont le père était dealer. Dès la première scène, les enjeux sont opaques, comme amoindris, mis à distance par la coke. Cage se défonce dès qu’il le peut et le film avance - sans jamais tomber dans des délires imbuvables - en tableaux presque cloisonnés, délimités par chaque prise de stupéfiants. A chaque fois, comme si une règle avait été fixée, quelque chose s’en échappe : une atmosphère moite, un élément d’enquête, une discussion à la dérive, une hallucination virale. La grande force du Bad Lieutenant de Herzog, c’est justement cet entrelacs de simples scènes, tout à fait appréciables sans les contraintes d'un "grand projet". A ce titre, le sous-texte chrétien présent chez Ferrara (son "grand projet") a été éjecté. Reste le polar pur et son goût pour les personnages déglingués, les pieds qui traînent dans les rues, les costumes beiges qui suintent, les peintures écaillées et le blues imprégné. Détails qui foisonnent et que la caméra capte de manière vaste. Quand l'enquête se précise davantage, on la suit avec tout l'intérêt requis. Mais cette variation de Bad Lieutenant reste fondamentalement un film d'atmosphère. Quelque chose qui ne se raconte pas, qui ne passionne jamais totalement. Mais qui impose ses teintes et ses codes avec un sens du singulier. Puis, Nicolas Cage n'a pas été aussi bon depuis 5 ans, pour être gentil.