18/06/2010

Kick-Ass (Matthew Vaughn, 2010)

Traiter le film de super-héros sur le mode du « cool », de la dérision, c’est une idée. Ces derniers temps, le genre a été pris d’assaut, devenant un creuset pour faire entendre un discours, une vision périphérique (Watchmen nihiliste, Dark Knight sociétal et existentiel). Alors la satire, ou juste le ton rigolard, devait venir à un moment (et de toute façon s’est déjà produit auparavant). Oui mais, de quelle manière on entreprend cette dérision ? C’est là que se situe le problème Kick-Ass. Inévitable à vrai dire, car le projet tient en son entier dans un travail des codes et les messages qu’il ébauche. Ce n’est pas un film d’intrigue, celle-ci est passe-partout, pas plus désastreuse qu’une autre mais jamais absorbante, ni débordante. L’intérêt doit donc venir de l’image qu’on propose du super-héros. Et là, horreur. On croirait fixer un point de non-retour de la pop culture. En partant du postulat : « un super-héros est aussi à la base un mec ordinaire, un poil marginal mais pas plus. Si dans l’absolu, on prend ce type-là pour devenir un super-héros, il faut respecter jusqu’à l’extrême sa normalité (il doit tout apprendre, ne se battra jamais parfaitement etc..). » Voici la base. Concrètement, Kick-Ass est un lycéen assez geek qui décide de devenir un super-héros. Maintenant s’amorce la science perfide de l’auteur. Pour caractériser ce personnage, on dira qu’il se sape mal, qu’il lit des comics, qu’il a un iBook, et qu’il n’a aucun succès avec les filles. Est-ce un loser ? Allez savoir, en tout cas il incarne une certaine norme (pour l’auteur). Cette peinture grossière est malgré tout commune à nombre de teen-movies, dont certains parfaits de John Hughes. Ce n’est pas nécessairement une tare indépassable que de dessiner son jeune héros d’une façon crasse. Il faut examiner la transcendance qui s’opère. Maintenant se déploie la science cynique de l’auteur. Kick-Ass est un super-héros de l’ère 2.0. On ne saura pas les raisons profondes qui ont poussé l’adolescent à se lancer dans une telle carrière, mais il y a quelques pistes : voir son nombre d’amis sur Myspace exploser, se taper enfin une belle fille, découvrir des ressources physiques et spirituelles insoupçonnées (moins probable). La démystification du super-héros est en marche, et elle se fait au profit du vide. Vide du récit, vide du message (ou hypocrisie totale). Etre cool c’est désormais renier l’ère du rêve, de l’exploit, de la fantasmagorie et de la noirceur qui se cristallisait autour de ces figures pour lui préférer un culte de l’éphémère (ici, Youtube amène le succès), un culte de la connivence (quelques références éparpillées pour flatter l’amateur). Kick-Ass est peut-être la preuve la plus achevée du cynisme hollywoodien. Il cherche coûte que coûte à se rallier une communauté, mais la méprise et la fourvoie grâce à la manipulation rusée de ses codes. Rendez-vous compte, comme dans le plus mauvais des teen-movie, l’ado disgracieux se révèle au final parfaitement sensuel dès qu’il ôte sa paire de lunettes. Rendez-vous compte, au moment où le héros frôle la mort, la voix-off, cette petite maligne, se moque ouvertement de son public : « vous vous croyez malin parce que vous m’entendez et pensez qu’il ne peut rien m’arriver ? Quoi, vous n’avez jamais vu Sunset Boulevard, American Beauty ?». Ce film pratique l’art du "coup de coude" complice à un niveau parfaitement étudié, parfaitement manipulateur. Kick-Ass est un horrible, un immense coup de coude.

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