22/07/2010

A Serious Man (Ethan & Joel Coen, 2009)

Des frères Coen, on est prêt à accepter leurs petits films. C’est rare mais on les accepte sans scandale, ces films convenables, plaisants, sans grande incidence, parce qu’ils peuvent en précéder de majeurs. Ce sont des sas de décompression. On s’y relâche avant d’accéder à quelque chose d’autrement plus vaste. On accepte Ladykillers parce qu’il mène à No Country For Old Men. Et Burn After Reading permet A Serious Man. Là, on est époustouflé. Pourtant ce n’est jamais qu’un (grand) film de plus dans leur œuvre ? Justement, peut-être pas. On devine ce que le quotidien de cette famille juive du Minnesota, à la fin des sixties, peut contenir d’intime, voire d’autobiographique. Il y a une nouvelle résonance. A Serious Man n’est d’ailleurs pas un film de genre, cet objet fétiche et composite que les Coen ont toujours travaillé jusqu’à en obtenir de pures essences. C’est véritablement un "simple" drame. Mais diable, il n’est au fond jamais simple. Sa forme et son intrigue a priori élémentaires débouchent sur un authentique horizon métaphysique. On assiste aux divers malheurs qui s’abattent sur Lawrence, père de famille, professeur de mathématique à l’université, juif, tranquille. Point… ou presque. Car sa femme le quitte, presque placidement. Un étudiant coréen le soudoie presque, pour obtenir son partiel. Son frère malade, qu’il héberge, est un psychotique caché (presque). Et son fils, écolier amorphe, écoute du rock psyché et fume des joints. C’est bien l’histoire d’une crise. Et c’est justement parce qu’elle demeure d’un abord si limpide qu’elle suscite les problèmes les plus opaques. La place est au doute. Non pas au sein du récit, d’une extrême clarté, mais vis-à-vis - et c’est ce qui en fait la force - du questionnement qui demande à s’y inscrire. Le sens, à la limite, nous est d’emblée offert par les rusés Coen avec une citation en exergue. Mais cette morale, comment l’interroger au juste ? Doit-on y voir une parabole sur la crise de la quarantaine ? Sur la montée de l’angoisse moderne ? La défaite du rationalisme ? La perpétuelle crise de l’identité juive ? Marque des meilleurs que de ne jamais certifier. Lorsqu’on est volontiers abreuvé d’objets raides et théoriques déclamant leur intelligence, de rares films comme celui-là sont un constant émerveillement. A l’égal d’un roman de Camus, tout en étant ludique. Dose d’humour absurde. Accessible mais immensément complexe. Jefferson Airplane, en parfaite bande-son de ce point de bascule vers l’incertain. Traversée d’hésitations pour le spectateur, mais où le hasard n’a pas sa place. De ce Coen, il émane encore une quintessence. Scénario, découpage, photo liés en un modèle de mise en scène. Continue justesse des plans, ici plutôt maillons que blocs. Tout y est stimulant. Pour son dénouement, A Serious Man nous abandonne à l’approche d’un sommet. Juste avant l’arrivée. Stoppé net, on essaie de deviner le panorama. Couper l’élan peut être beau, quand ça laisse fébrile et ravi.

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