Des frères Coen, on est prêt à accepter leurs petits films. C’est rare mais on les accepte sans scandale, ces films convenables, plaisants, sans grande incidence, parce qu’ils peuvent en précéder de majeurs. Ce sont des sas de décompression. On s’y relâche avant d’accéder à quelque chose d’autrement plus vaste. On accepte Ladykillers parce qu’il mène à No Country For Old Men. Et Burn After Reading permet A Serious Man. Là, on est époustouflé. Pourtant ce n’est jamais qu’un (grand) film de plus dans leur œuvre ? Justement, peut-être pas. On devine ce que le quotidien de cette famille juive du Minnesota, à la fin des sixties, peut contenir d’intime, voire d’autobiographique. Il y a une nouvelle résonance. A Serious Man n’est d’ailleurs pas un film de genre, cet objet fétiche et composite que les Coen ont toujours travaillé jusqu’à en obtenir de pures essences. C’est véritablement un "simple" drame. Mais diable, il n’est au fond jamais simple. Sa forme et son intrigue a priori élémentaires débouchent sur un authentique horizon métaphysique. On assiste aux divers malheurs qui s’abattent sur Lawrence, père de famille, professeur de mathématique à l’université, juif, tranquille. Point… ou presque. Car sa femme le quitte, presque placidement. Un étudiant coréen le soudoie presque, pour obtenir son partiel. Son frère malade, qu’il héberge, est un psychotique caché (presque). Et son fils, écolier amorphe, écoute du rock psyché et fume des joints. C’est bien l’histoire d’une crise. Et c’est justement parce qu’elle demeure d’un abord si limpide qu’elle suscite les problèmes les plus opaques. La place est au doute. Non pas au sein du récit, d’une extrême clarté, mais vis-à-vis - et c’est ce qui en fait la force - du questionnement qui demande à s’y inscrire. Le sens, à la limite, nous est d’emblée offert par les rusés Coen avec une citation en exergue. Mais cette morale, comment l’interroger au juste ? Doit-on y voir une parabole sur la crise de la quarantaine ? Sur la montée de l’angoisse moderne ? La défaite du rationalisme ? La perpétuelle crise de l’identité juive ? Marque des meilleurs que de ne jamais certifier. Lorsqu’on est volontiers abreuvé d’objets raides et théoriques déclamant leur intelligence, de rares films comme celui-là sont un constant émerveillement. A l’égal d’un roman de Camus, tout en étant ludique. Dose d’humour absurde. Accessible mais immensément complexe. Jefferson Airplane, en parfaite bande-son de ce point de bascule vers l’incertain. Traversée d’hésitations pour le spectateur, mais où le hasard n’a pas sa place. De ce Coen, il émane encore une quintessence. Scénario, découpage, photo liés en un modèle de mise en scène. Continue justesse des plans, ici plutôt maillons que blocs. Tout y est stimulant. Pour son dénouement, A Serious Man nous abandonne à l’approche d’un sommet. Juste avant l’arrivée. Stoppé net, on essaie de deviner le panorama. Couper l’élan peut être beau, quand ça laisse fébrile et ravi.
22/07/2010
18/06/2010
Kick-Ass (Matthew Vaughn, 2010)
Traiter le film de super-héros sur le mode du « cool », de la dérision, c’est une idée. Ces derniers temps, le genre a été pris d’assaut, devenant un creuset pour faire entendre un discours, une vision périphérique (Watchmen nihiliste, Dark Knight sociétal et existentiel). Alors la satire, ou juste le ton rigolard, devait venir à un moment (et de toute façon s’est déjà produit auparavant). Oui mais, de quelle manière on entreprend cette dérision ? C’est là que se situe le problème Kick-Ass. Inévitable à vrai dire, car le projet tient en son entier dans un travail des codes et les messages qu’il ébauche. Ce n’est pas un film d’intrigue, celle-ci est passe-partout, pas plus désastreuse qu’une autre mais jamais absorbante, ni débordante. L’intérêt doit donc venir de l’image qu’on propose du super-héros. Et là, horreur. On croirait fixer un point de non-retour de la pop culture. En partant du postulat : « un super-héros est aussi à la base un mec ordinaire, un poil marginal mais pas plus. Si dans l’absolu, on prend ce type-là pour devenir un super-héros, il faut respecter jusqu’à l’extrême sa normalité (il doit tout apprendre, ne se battra jamais parfaitement etc..). » Voici la base. Concrètement, Kick-Ass est un lycéen assez geek qui décide de devenir un super-héros. Maintenant s’amorce la science perfide de l’auteur. Pour caractériser ce personnage, on dira qu’il se sape mal, qu’il lit des comics, qu’il a un iBook, et qu’il n’a aucun succès avec les filles. Est-ce un loser ? Allez savoir, en tout cas il incarne une certaine norme (pour l’auteur). Cette peinture grossière est malgré tout commune à nombre de teen-movies, dont certains parfaits de John Hughes. Ce n’est pas nécessairement une tare indépassable que de dessiner son jeune héros d’une façon crasse. Il faut examiner la transcendance qui s’opère. Maintenant se déploie la science cynique de l’auteur. Kick-Ass est un super-héros de l’ère 2.0. On ne saura pas les raisons profondes qui ont poussé l’adolescent à se lancer dans une telle carrière, mais il y a quelques pistes : voir son nombre d’amis sur Myspace exploser, se taper enfin une belle fille, découvrir des ressources physiques et spirituelles insoupçonnées (moins probable). La démystification du super-héros est en marche, et elle se fait au profit du vide. Vide du récit, vide du message (ou hypocrisie totale). Etre cool c’est désormais renier l’ère du rêve, de l’exploit, de la fantasmagorie et de la noirceur qui se cristallisait autour de ces figures pour lui préférer un culte de l’éphémère (ici, Youtube amène le succès), un culte de la connivence (quelques références éparpillées pour flatter l’amateur). Kick-Ass est peut-être la preuve la plus achevée du cynisme hollywoodien. Il cherche coûte que coûte à se rallier une communauté, mais la méprise et la fourvoie grâce à la manipulation rusée de ses codes. Rendez-vous compte, comme dans le plus mauvais des teen-movie, l’ado disgracieux se révèle au final parfaitement sensuel dès qu’il ôte sa paire de lunettes. Rendez-vous compte, au moment où le héros frôle la mort, la voix-off, cette petite maligne, se moque ouvertement de son public : « vous vous croyez malin parce que vous m’entendez et pensez qu’il ne peut rien m’arriver ? Quoi, vous n’avez jamais vu Sunset Boulevard, American Beauty ?». Ce film pratique l’art du "coup de coude" complice à un niveau parfaitement étudié, parfaitement manipulateur. Kick-Ass est un horrible, un immense coup de coude.
16/04/2010
L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot (Serge Bromberg - Ruxandra Medrea, 2009)
Documentaire sur un film jamais sorti de Henri-Georges Clouzot. Images inédites de Romy Schneider. Choc. Comment juger ce film documentaire dont le déroulement est un peu faible et qui doit tout aux beautés qu’il exhibe, et qui ne sont pas de lui ? Le fait est qu’en présentant pour la première fois les plans tournés par Clouzot il y a maintenant presque cinquante ans, Serge Bromberg exhibe un trésor. Mais si on doit vraiment émettre une opinion sur son entreprise, il y a défaveur. L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot raconte évidemment l’histoire d’un film oublié. Enfin, c’est encore plus fort, le film n’est pas simplement oublié ; il n’est jamais sorti, n’a même jamais été fini. Bromberg joue sur deux plans : il documente ce qu’a été le projet et le tournage de ce film par Clouzot / il reconstitue ce qu’aurait pu être le film une fois monté, en complétant les vides par quelques scènes rejouées (avec Jacques Gamblin et Bérénice Bejo). Ce qui est assez frustrant, c’est qu’il trébuche sur son double enjeu. D’une part, la rigueur fait défaut à son travail documentaire. Des informations sont omises, fréquemment. Le portrait de Clouzot est à peine dessiné. Pourquoi ne pas s’interroger un minimum sur le fait que le réalisateur, assimilé à l’époque par les insolents de la Nouvelle Vague à cette « qualité française » (académique, corporatiste etc..) qu’ils abhorraient, se mette en tête avec L’Enfer de créer une œuvre absolument expérimentale ? Comment avait-il obtenu ce budget illimité pour ses essais ? Le scénario était-il vraiment achevé ? Les questions planent et les réponses se dérobent. Peut-être par négligence, peut-être parce qu’elles sont inconnues (alors autant le dire). Dans un second mouvement, le film tente de réparer l’injustice en donnant un semblant de cohérence au monceau d’images retrouvées. Ici encore, le projet est louable mais lacunaire. On ne s’intéresse pas à l’intrigue, elle est déficiente. Quand on nous présente les contemporains Gamblin et Bejo, on brûle de retrouver les originaux. Car, pour en venir au choc, les images de Clouzot le véhiculent, terrible. Elles étaient sensées être mentales, représentant la folie de la jalousie. Romy Schneider, face à la caméra, exhale la fumée d’une cigarette. Son corps est pailleté, huileux, un jeux de lumières circulaire l’éclaire. Clouzot était alors influencé par l’art cinétique : couleurs baroques, mouvements bouclés sur eux-mêmes. Il y a peut-être quelque chose de désuet dans ces installations. Mais le trouble surnage et tétanise toujours. La beauté de Romy est terrassante. Elle plante son regard en nous, rit en silence dans une ligne fuyante de teintes. Origine même du pouvoir de l’image, le trouble qui saisit sans annonce. C’est cette sensation fondamentale que l’on retrouve ici. Aurait-on pu se passer d’avoir vu Romy Schneider ainsi ? Pas vraiment.
07/04/2010
Bad Lieutenant : escale à la Nouvelle-Orléans (Werner Herzog, 2009)
Vu comme ça, il n’y a pas de lien explicite entre le Bad Lieutenant de Herzog et celui de Ferrara. Hormis leur personnage commun de flic junkie, les deux films n’ont pas la même saveur, la même esthétique, ni les mêmes préoccupations. Jour et nuit. Et cela n’a rien de malheureux, c’est en fait ce qu’il y a de plus sain dans la version de Herzog. Pourtant, quand sur l’affiche Nicolas Cage s’avance pour reprendre l’uniforme de rebut, de fortes suspiZions trainent dans les esprits. Elles seront sans fondements : Bad Lieutenant est un vrai film, pas une sortie technique. Loin de New York, c’est à la Nouvelle-Orléans post-Katrina que le flic vicié trouve une enquête à résoudre. Une famille Noire massacrée, dont le père était dealer. Dès la première scène, les enjeux sont opaques, comme amoindris, mis à distance par la coke. Cage se défonce dès qu’il le peut et le film avance - sans jamais tomber dans des délires imbuvables - en tableaux presque cloisonnés, délimités par chaque prise de stupéfiants. A chaque fois, comme si une règle avait été fixée, quelque chose s’en échappe : une atmosphère moite, un élément d’enquête, une discussion à la dérive, une hallucination virale. La grande force du Bad Lieutenant de Herzog, c’est justement cet entrelacs de simples scènes, tout à fait appréciables sans les contraintes d'un "grand projet". A ce titre, le sous-texte chrétien présent chez Ferrara (son "grand projet") a été éjecté. Reste le polar pur et son goût pour les personnages déglingués, les pieds qui traînent dans les rues, les costumes beiges qui suintent, les peintures écaillées et le blues imprégné. Détails qui foisonnent et que la caméra capte de manière vaste. Quand l'enquête se précise davantage, on la suit avec tout l'intérêt requis. Mais cette variation de Bad Lieutenant reste fondamentalement un film d'atmosphère. Quelque chose qui ne se raconte pas, qui ne passionne jamais totalement. Mais qui impose ses teintes et ses codes avec un sens du singulier. Puis, Nicolas Cage n'a pas été aussi bon depuis 5 ans, pour être gentil.
23/03/2010
Watchmen (Zack Snyder, 2009)
De manière plutôt détachée, nous dirons qu’il n’y avait rien à attendre de Zack Snyder après 300. De manière moins détachée, nous dirons que 300 était un odieux péplum de l'ère numérique, où des Spartiates évadés d’une pub exhibaient leurs faux muscles saillants sur fond d’écran vert, ce pendant 1h30. Il n’y avait que ça, presque, même avec des raccourcis, même avec les gros sabots. La page est close. Watchmen a tellement plus de mérite. Pourtant, pour être tout à fait objectif, on ne sait pas si ses qualités sont en grande partie redevables au comic dont il est l’adaptation, ou si le film arrive à développer sa propre créativité. On navigue un peu à l’aveuglette, tant pis. Ce film est quand même une grande fresque perturbante, une superproduction de héros nihilistes. Oui, les Watchmen sont a priori des super-héros. Mais en réalité, ils n’ont rien de super et tout de sale. Dans une réalité parallèle où les Etats-Unis ne sont jamais sortis de la guerre froide, ils représentent un petit cercle de personnages masqués veillant encore au maintien de la justice. Pourtant ils ne sont même plus dans la course (une loi leur a interdit d’exercer leur vocation) et ils n’y croient plus. C’est dans ce cadre, ici synthétisé à la hâte, qu’évolue le récit. A l’image de The Dark Knight, le dernier Batman un peu surcoté, Watchmen s’attache à gommer les frontières morales, à peindre quelque chose de notre ère à travers la parabole et la virtuosité paranoïaque. Plus de tromperie, les héros évoluent dans la fange mais surtout, créent eux-mêmes la fange. Une large moitié du film est consacrée à cette évolution délétère. Son postulat serait aussi : comment narrer quelque chose alors que la fin de l’humanité est proche (suspendue à l’imminence d’une guerre atomique), qu’il n’y a donc plus rien à sauver, et par là plus rien à raconter ? A travers des scènes en mosaïque, une fluidité presque lente et retenue, assurée par le montage (brillant), Watchmen semble lui-même, en tant qu’œuvre, trouver la solution au dilemme en se retournant - regard par-dessus l'épaule - sur les symboles à sauver du naufrage. Que ce soit la pop music (Dylan, Simon & Garfunkel, Hendrix convoqués) ou sa propre mythologie (par la mise en abîme : un anonyme apparaît dans plusieurs plans plongé dans un comic / les costumes des Watchmen sont des pastiches d’autres super-héros). C'est cela dont le récit se nourrit. Dans une sorte de dérive vertigineuse, il donne à éprouver la déliquescence d’un monde, sans tellement se fixer d’échéance et de péripéties. Il s'agit de la partie que l’on préfère, avec visions contenues dans des cadres amples et parfois solennels. Sans totalement compter sur Snyder, toujours prompt à dégainer des ralentis systématiques, mais son regard a cette fois une certaine qualité élégiaque. Le deuxième acte, parce qu’il propose enfin un but à atteindre, se révèle certainement plus convenu. Le juste ordre des choses reprend son cours et qui irait l’en blâmer ? Il faut nécessairement arriver à un épilogue. Qui désire un film aux enjeux anéantis, atomisés, un film rongé par le vide ? Pas moi, même si cela doit se concrétiser par une légère déception. Quoi qu'il en soit, Watchmen s'impose comme un des meilleurs films de super-héros de ces dernières années.
17/03/2010
Rien de personnel (Mathias Gokalp, 2009)
Cette chose est un film sur l’univers magique de l’entreprise, et plus précisément un petit exercice raide et malaisant dont on ne sait que retirer. Rejet ou curiosité. En tout cas, il paraît délicat d’affirmer « j’ai aimé ce film ». Ce serait difficilement un amour chaleureux, tant le film pose des barrières, baigne dans la réflexivité. Donc, s’il était un prototype pour critiques (téléruptibles), ça donnerait : un exercice formel à caractère sociologique qui transcrit les faux semblants théâtraux du monde de l’entreprise, tout en empruntant les circonvolutions narratives d’un Rashomon. Ah, bidonnant ! Bon ceci dit, cette chose n'est pas le moins du monde exempte de qualités. L'histoire se déroule lors d'un colloque huppé où tous les cadres d'une grande entreprise pharmaceutique sont réunis, s'adonnant pour l'occasion à des exercices de simulation censés améliorer leur productivité. 60% des dialogues sont composés d’une terminologie enivrante : « rendement / benchmarking / process / CDE ». Une certaine idée de l’exotisme. On suit plusieurs personnages, dont on partagera tour à tour les points de vue sur le déroulement de la soirée. Evidemment, la transcription des évènements diverge suivant la position (professionnelle) de l’un ou les convictions (idéologiques) de l’autre (et c'est même encore plus alambiqué). Jeux de miroir, oui, tellement brouillés, faussés, qu’on hésite presque constamment sur le point de vue - fantasme, flashback, autre ? Finalement, rassurons-nous, nous y verrons clair. Mais, Rien de personnel a beau être agencé avec un grand brio, développer même des idées originales dans son récit, son trop-plein d'analyse a raison de nos pauvres petits esprits. A la fin, un "à quoi bon" fatal résonne.
09/02/2010
OSS 117 : Rio ne répond plus (Michel Hazanavicius, 2009)
Le personnage OSS 117 mérite pas mal d’honneurs. Déjà, il a permis de renouer avec une certaine exigence dans le domaine de la comédie française. Parce que le genre est souvent réduit à un amoncellement de grosses productions qui s’intéressent avant toute chose à leur promotion prime-time sur TF1. Mais 117 avait une vigueur "pop" surprenante et ne lâchait pas de grosses blagues obligées pour plaire. Enfin bref, hâte était d’attaquer ce second volet. Ça déchante, malheureusement. Le catapultage à la fin des sixties aurait pu déboucher sur un surcroît d’inventivité, propre à l’époque. Bon, le code de l’écran découpé en vignettes apparaît à certains passages, les couleurs sont plus torrides, de même que la musique ; mais rien d’aussi charmant et ciselé que le pastiche 50’s du précédent. A la limite, ce manque n’est pas très grave tant que le reste… mais le reste ne suit pas. Les auteurs ont voulu mettre le paquet sur le chauvinisme du héros. Il l’était déjà dans le premier volet, mais dorénavant il n’est plus que ça. Macho, raciste, narcissique, pas drôle : français ! Problème, cette charge à sens unique ne laisse plus aucune place à un autre régime de scènes. Dans le précédent, encore lui, les tares d’OSS étaient, si ce n’est amenées avec plus de subtilité, du moins harmonisées (et donc encore plus « drôlisées ») par des épisodes farfelus : le "jour/nuit" dans l’entrepôt de poulet - le numéro de chant etc.. Or ici, on ne trouve rien à la hauteur. OSS se contente d’être atrocement français : on l’aura compris plutôt deux fois qu’une. D’où une impression de faiblesse comique qu’aucun second rôle, tous ternes, ne vient démentir. D’accord, Rio ne répond plus n’est pas exempt de sophistication : les silences durent derrière les répliques décalées. Mais la répartition des forces gâche le film. D'accord, Jean Dujardin reste encore extra. Mais la barre doit être rétablie pour les prochaines aventures d'OSS, nom d'une pipe !
06/02/2010
Le troisième homme (Carol Reed, 1949)
A un moment donné, ce ne sont plus que les images qui vous hypnotisent. Elles vous figent dans une sorte de stupeur. Pourquoi regarde-t-on encore ce film ? Parce qu’il y a ces images, ces plans. Dans Le troisième homme, il faut reconnaître que l’histoire n’est pas tout à fait haletante. Il y a un mystère, qu’un homme débarqué à Vienne après-guerre va chercher à résoudre, mais l’intérêt est ailleurs. D’ailleurs, aussi forte que soit la révélation, qui forcément doit venir, elle ne répond pas à grand-chose. Ce qui compte, ce sont : l’incertitude du héros - la stupeur d’une ville délitée - l’hallucination qui pointe son nez. Le film se suit plongé dans une stupeur étrange. Carol Reed cherchait vraisemblablement la modernité dans le "film noir" et à imposer un style. Il y a beaucoup de cadres inclinés, comme si le monde tanguait. Quelques gros plans forts ; des lumières marquées ; et cette musique saugrenue qui nous impose un regard décalé, là où l’on verrait de la tragédie. Malgré tout, j’ai l’impression que le film est trop systématique dans sa recherche (trop de cadre incliné tue le cadre incliné). Ce serait davantage une sorte de film-relai qui avance vers la modernité, qu’un film moderne en soi. Mais toute importance historique mise à part, il reste l’image qui vous happe. Orson Welles avance son visage vers la lumière, animé par un sourire goguenard et inquiétant ; les rues de Vienne désertées, immense terrain de jeu ; un affrontement moral dans une grande-roue surnaturelle ; enfin, une poursuite dans les égouts de Vienne. Quelques unités fortes dans un ensemble parfois lâche. Mais c'est probablement ce que le film cherchait.
02/02/2010
Excalibur (John Boorman, 1981)
On peut ne pas être sensible aux histoires de chevaliers, dragons, enchanteurs… et aimer Excalibur, beaucoup. A cela, il doit y avoir plusieurs raisons. A) On ne connaît pas grand-chose de la légende du roi Arthur (n’étant pas sensible aux chevaliers, dragons, etc.) et le film en donne une vue d’ensemble riche et passionnante. La légende est tellement ancrée en notre imaginaire qu’on est happé, forcément. Ça, ce serait pour le récit. B) Il y a un solide réalisateur aux commandes. Excalibur est donc beau et propose des images assez incroyables. Des lumières irisées, des décors, des costumes fous et flamboyants. Et cela dans des cadres élaborés. C’est la beauté de la démesure et du merveilleux. De toute évidence, il est (était) possible de mettre en scène une grande épopée sans recours aux effets numériques. Le film ne masque pas son usage du trompe l’œil ; ce qui lui serait fatal aujourd’hui mais ne l’en rend que plus beau. C) Réussi sur deux niveaux, narratif et esthétique, le film n’est pas un objet intouchable pour autant. C’est qu’il faut oser pour s’imposer. Par exemple, les acteurs ont un jeu particulier qui prête à sourire. Ils jouent probablement comme le souhaitait Boorman, c’est-à-dire avec la touche d’emphase nécessaire à l’adaptation de la légende. La post-synchro est un peu discutable, mais elle aussi donne ce petit décalage héroïque qui nous fait penser : on est vraiment dans un film. Et c’est terrible. Conclusion) Excalibur laisse une intense impression de mystère. Les différents épisodes du mythe sont suffisamment découpés pour qu’on les comprenne… mais il reste encore une part de floue, d’insaisissable et d’étrange dans les enchaînements. C’est de cette manière qu’il donne le mieux à voir la folie de son entreprise et sa grande réussite. Même si on est rétif à la fantasy, il faut voir ça.
31/01/2010
Fais-moi plaisir ! (Emmanuel Mouret, 2009)
On remarque assez rapidement quand un film rentre dans un moule. Puis, on se dit que le moule lui va tout à fait et l’on n’a pas envie qu’il s’en dégage. Mais il lui arrive tout de même de quitter son moule pour un autre, qui lui va aussi bien. C’est donc le cas pour cette comédie qui commence dans des limites bien nettes. Petite scénette romantique et presque rigide, où les dialogues ne se permettent aucune contraction, où les liaisons sont respectées comme il se doit en France. Oh, d’abord le poil se hérisse. Mais finalement, c’est une des règles que pose le film et il s’en accommode avec beaucoup de charme. La première séquence raconte surtout que, ce samedi matin-là, Jean Jacques a envie de faire l’amour avec sa petite amie, mais que celle-ci compte d’abord dormir une heure de plus, puis réclame un café avant toute chose, puis finit son roman (il ne lui reste que trois pages), puis… puis… Enfin, au bout de vingt petits détails, la petite amie de Jean Jacques le poussera à aller coucher avec une inconnue qu’il avait abordée sans conviction. Oui ! L’intrigue s’est nouée et hop, on embraye sur le burlesque. Ce seront donc des scènes purement visuelles, drôles juste assez, un peu inoffensives, et c’est pour cela qu’Emmanuel Mouret nous fait aimer son film. Son personnage est un grand nigaud qui se prend les pieds dans tous les tapis de tous les plans, en essayant toujours de masquer ses bêtises. Déjà vu, mais ce n’est pas un problème. Le film se déroule avec aisance, trouve des situations insolites et pétille. Mouret souffle : ça ne prête pas à conséquence, mais je le fais très bien. Exactement. Sa comédie s’envolera l’instant d’après, avec son élégance un peu dépassée. Mais heureusement que cela existe.
30/01/2010
Shaft (Gordon Parks, 1971)
Le film est mythique. J’attends de Shaft qu’il soit à la hauteur de sa réputation. Un peu. Au moins autant que son thème légendaire (son tempo à la charleston constamment sur le fil, son riff "wah wah" évocateur) par Isaac Hayes. Eh bien, pas forcément. Qu’est-ce que j’en attendais d’ailleurs ? Quelque chose de fortement marqué par les seventies (de longs zooms sur des faces patibulaires), un personnage ultra-charismatique, des dialogues qui prêtent à sourire parce que envoyés sur la corde, une intrigue vaguement regardable qui laisse place aux situations croquignolesques. Le B.A-ba d’un film d’exploitation de l’époque. Blaxploitation, en fait. Il y a un peu de tout ça dans Shaft, mais sans jamais d’osmose. L’intrigue n’est pas vaguement regardable, elle est molle. Aucun dynamisme. Le personnage est certes charismatique, et suranné. John Shaft arbore coupe afro et moustache, porte un long imper en cuir beige et pousse des éclats de rire imprévus. Le générique dure longtemps : pour la musique en partie, et pour voir Shaft se mouvoir dans les rues new yorkaises en faisant fuir les petits revendeurs à la noix, manquant de se faire écraser par une voiture (mais lui répondant aussi sec : enfoiré !), faisant se retourner les filles. Mais Shaft n’a pas grand-chose à faire. Hormis retrouver une fille dont on se fiche à 100 %. Quelques autres à séduire, quelques répliques à envoyer. « - Mais où tu vas Shaft ? - Baiser. Et toi où tu vas ? » dit-il en s’éloignant et en poussant un rire soudain. Serait-ce le moment à retenir ? En dehors de ça, Gordon Parks devait être persuadé de notre intérêt pour les péripéties, qu’il prend un soin superflu à installer… les zones d’attente sont nombreuses. Comme la fusillade finale, qu’il met en place durant 7 longues minutes, pour finalement la torcher en 45 secondes. Et 30 secondes après, de boucler le film. Shaft, la chanson, est cool ; Shaft, le film, j'ai dû le regarder en deux fois.
25/01/2010
Brooklyn Boogie (Wayne Wang - Paul Auster, 1995)
Après Smoke, il fallait que je vois le deuxième volet. Quel malheur… le doux charme s’est envolé. Dans Smoke, Auster et Wang faisaient un portrait de Brooklyn, un portrait en creux, sous l’écoulement de l’intrigue. Là, le portrait est au premier plan, revendiqué. Et il ne reste que des bouts de scène. Dans Smoke, il y en avait une très belle et longue où Harvey Keitel montrait son album-photos à William Hurt. Celui-ci tournait les pages et retrouvait toujours la même photo du même coin de rue, sous le même angle restitué jour après jour. Et il disait en regardant vite : mais ce sont toutes les mêmes. Harvey Keitel répondait : oui, mais ralentis, regarde bien. Esquisse métaphysique. Eh bien, on dirait que Brooklyn Boogie prend l’exact contrepied de cette scène. Il n’y a plus que des vignettes chacune différentes. On saute de l’une à l’autre, on retombe sur elles et les dialogues sont lancés, très vite. Souvent agités et rarement drôles. On regarde des points de vue ratés, en somme. Mais deux sont brillants : il y a Lou Reed, sous un bol de cheveux frisés, et Jim Jarmusch. Ils parlent, simplement, sans chercher à construire coûte que coûte une situation. Et je me demande vraiment s’ils disent alors ce qui leur passe par la tête, s’ils jouent désinvolte un texte très écrit, s’ils jouent un texte qui reprend des pensées qui leur sont venues. En tout cas, ils parlent pour - presque - rien et ça me suffit. Le coup de grâce, une apparition de Madonna en telegram-girl chantante. Elle chante vraiment comme un pot.
24/01/2010
The Wrestler (Darren Aronofsky, 2008)
Un film sur le catch. Un film sur Mickey Rourke. Un film sur un perdant. Un film sur Mickey Rourke, acteur perdant, qui offre son corps à un film sur le catch. D’accord, ça me faisait peur. Le catch, l’attirail de muscles suintants, les cheveux peroxydés, le hard-rock et les prises de guerrier. Mais évidemment, ça prend. Parce qu’il y a Mickey Rourke. Aronofsky, je n’en attendais pas grand-chose… après The Fountain, c’était clos. Mais Rourke est beau. J’ai aimé pour lui. J’ai arrêté de me focaliser sur les partis pris lourdingues (caméra braquée sur le dos du personnage, le plan est repris au moins une cinquantaine de fois par la suite). Parce que Rourke nous dit, "le spectacle (du catch) c’est tout". C’est une superbe philosophie. Il s’accroche à elle, parce qu’il sait qu’au-delà c’est trop dur. Il tient à son nom de scène, il est froissé quand on l’appelle à la pharmacie par son nom civil, il rectifie avec douceur, c’est touchant. Son passé a été glorieux, son présent est merdique. Il essaie de le rendre meilleur : il tente de nouer une romance, il rappelle sa fille avec qui le contact était rompu. Mais non, ça ne prend pas. Il reste immensément seul. Alors que les gens l’acclament quand il fait le spectacle, le catch ! Alors même si la dernière prise doit lui être fatale, il assure le show. On peut avoir les larmes aux yeux pour une prise de catch.
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